Pratique du “binge drinking” chez les jeunes

Boire beaucoup d’alcool dans  un laps de temps très court : voilà le concept du binge drinking qui  sévit depuis dix ans en France  et dans la plupart des pays européens, principalement chez les jeunes. La part de ceux qui ont connu au moins trois ivresses dans l’année a presque doublé  en dix ans, passant de 15 à 29 % (baromètre santé 2014 de  l’Institut national de prévention  et d’éducation pour la santé).

Chez les étudiants,environ 40% des garçons et 16% des filles sont déjà connu un épisode de binge drinking. Et dans certaines promotions, la moitié des élèves reconnaissent avoir vécu un “trou noir”, une période d’ivresse qui ne leur a laissé aucun souvenir.

Ce phénomène laisse-t’il des traces dans le cerveau des jeunes adultes?

Oui. C’est la forme de consommation d’alcool la plus délétère pour la mémoire des jeunes. Pour notre étude européenne, AlcoBinge, nous avons séparé les jeunes en deux groupes: les binge drinkers, qui peuvent absorber jusqu’à 30 verres par session une à deux fois par semaine, et les “buveurs sociaux”, consommateurs réguliers d’alcool, mais de façon plus étalée dans la semaine. A un an d’intervalle, l’imagerie cérébrale a révélé une altération de la substance blanche (les fibres nerveuses garantes de la communication entre les zones du cerveau) plus importante chez les binge drinkers, notamment les garçons. Or, les capacités d’apprentissage et de mémorisation dépendent de ces fibres. L’étude de la matière grise (neurones) a, par ailleurs, confirmé une différence entre les deux groupes, mais cette fois, ce sont les filles qui sont les plus touchées par cette altération, notamment au niveau de l’hippocampe. L’une de leurs structures les plus altérées est liée aux émotions.

Quelles pourraient être les conséquences à long terme de cette pratique pendant sa jeunesse?

Addiction à l’alcool, problèmes psychologiques, émotionnels…Sur l’animal, nos expériences ont montré que des intoxications répétées chez le rat “adolescent” (deux premiers mois de sa vie) induisent une vulnérabilité à l’addiction à l’alcool à l’âge adulte (2 ans). Les rats adultes doivent consommer plus d’alcool pour obtenir une activation des circuits  cérébraux de la récompense ! Un besoin qui n’existe pas lorsque la consommation a été plus étalée au cours de l’adolescence de l’animal. On peut aussi craindre des effets neurotoxiques liés à l’alternance d’intoxications massives et de sevrages.  Même si les quantités consommées sont les mêmes que chez les buveurs sociaux, nos travaux sur les rats montrent que le cerveau se modifie pour contrer cette hyper alcoolisation, avec des dommages potentiellement durables en termes de fonctionnement cérébral, de mémorisation et d’apprentissage.

Michaël Naasilia.
Neurobiologiste, spécialiste des problématiques d’addiction à l’alcool (Inserm).