La Constitution des États-Unis
La Constitution des États-Unis est, dans ses propres termes, la « loi suprême du pays ». Elle fut acceptée le 17 septembre 1787 par une convention réunie à Philadelphie, et après ratification, s’applique depuis le 4 mars 1789. Modifiée par vingt-sept amendements, elle est l’une des plus anciennes constitutions écrites encore appliquées (la plus ancienne étant probablement celle de la République de Saint-Marin, qui date de 1600).
Cette constitution établit un gouvernement aux prérogatives limitées, tenu de respecter les droits fondamentaux des citoyens, et fondée sur la séparation des pouvoirs, qui doivent se contrôler et s’équilibrer l’un l’autre (checks and balances).
Ratifiée à l’origine par treize États fédérés, devenus aujourd’hui cinquante, elle crée un État fédéral. Bien que la Constitution et les lois des États-Unis s’imposent aux divers États fédérés, de très larges prérogatives leur sont réservées. Le gouvernement est, dès l’origine, de type républicain et fondé sur la souveraineté du peuple. Son caractère démocratique au sens actuel du terme, avec le suffrage universel, apparaît plus progressivement, parfois au travers d’amendements, plus souvent par le changement des lois ou des revirements de jurisprudence.
L’échec de la confédération
À l’issue de la guerre, il s’avère vite que les articles de confédération fonctionnent mal. Les États sont jaloux de leurs intérêts et de leurs prérogatives. Beaucoup sont très endettés en raison de l’effort de guerre. Le Massachusetts doit même faire face, pour cette raison, à une rébellion (la révolte de Shays). Le Congrès ne parvient pas à obtenir d’eux des ressources financières, et les États considèrent pour la plupart leur constitution et leurs lois comme supérieures aux articles. Les États continuent à garder leur propre papier-monnaie et taxent même les produits venant des autres États américains. Les États peuvent même signer des accords avec des puissances étrangères5. Toute modification de la constitution requiert l’approbation de tous les États, ce qui semble impossible. Les États eux-mêmes ont des difficultés. Leurs institutions sont insuffisantes pour préserver l’ordre et la liberté. Ils ont aussi le plus grand mal à rembourser leurs dettes. La Convention d’Annapolis, réunie du 11 au 14 septembre 1786 à la demande de la Virginie, dresse un constat d’échec des Articles de la Confédération pour l’organisation des échanges commerciaux entre les États. Elle prévoit une nouvelle assemblée pour 1787.
Les pères fondateurs se rendent compte qu’ils avaient été trop optimistes sur la nature humaine et que la vertu publique est une utopie. Alexander Hamilton est chargé de réfléchir sur un nouveau projet tenant compte d’une définition plus réaliste de la nature humaine. Sa réflexion fondatrice marque le passage à une manière de penser plus pragmatique : « Les hommes aiment le pouvoir […] Donnez tout le pouvoir au grand nombre et la minorité sera opprimée ; donnez tout le pouvoir à la minorité et le grand nombre sera opprimé6 ». Les Américains comme tous les hommes ne recherchent pas le bien commun mais leur intérêt personnel, souvent confondu avec le bien commun. Ceci favorise les alliances de circonstance et surtout les disputes7. Les troubles sont tellement importants que certains pensent qu’il faut restaurer la monarchie en Amérique8. Mais les pères fondateurs ne veulent pas renoncer après tous les sacrifices consentis à l’idéal de liberté incarné par la République9. Ils veulent fonder un nouveau régime qui doit offrir « un remède républicain aux maux les plus courants du régime républicain »10.
La longévité de la constitution : flexibilité et interprétations
La longévité exceptionnelle de la constitution des États-Unis est généralement attribuée à sa très grande flexibilité. Au cours de ses deux siècles d’existence, elle a pu servir à la fois à une confédération de quatre millions d’habitants qui vivait d’agriculture et de commerce maritime, et à un pays de 300 millions d’habitants qui est le plus riche et le plus puissant du monde. Cette flexibilité tient à plusieurs points :
- La constitution se concentre sur des questions d’organisation des pouvoirs, dans un esprit qui était à la fin du XVIIIe siècle totalement moderne, et qui reste conforme à la pratique des démocraties d’aujourd’hui. Dépourvus d’aristocratie dès leur origine, les États-Unis ont évité l’essentiel des crises politiques de l’Europe du XIXe siècle.
- Au-delà de l’organisation des pouvoirs, la constitution s’attache essentiellement à énumérer les droits des citoyens. Ces droits ont été peu à peu ajoutés à la constitution, là encore de façon comparable à ce qui est arrivé dans d’autres pays occidentaux, souvent, mais pas toujours, avant eux. Leur formulation négative (l’État ne peut faire certaines choses, plutôt que l’État doit assurer certaines choses) en limite la portée, mais en assure l’applicabilité.
- La constitution laisse jusque dans l’organisation des pouvoirs des points nombreux à décider par la loi. Ainsi, du moins dans sa version d’origine, elle ne dit pas qui est électeur, laissant ce pouvoir aux différents États. À l’origine presque partout censitaire, le suffrage est devenu universel, les amendements à la constitution dans ce sens (XIXe et XXVIe) ne faisant que confirmer une pratique déjà quasi générale.
- La constitution, tout comme les autres lois, s’applique dans la logique de la common law anglo-saxonne, c’est-à-dire qu’elle doit être comprise à la lumière des décisions des tribunaux, et tout particulièrement de la cour suprême des États-Unis, portant sur des affaires particulières. Au contraire de la tradition britannique, la cour suprême n’est pas liée par la règle du précédent, ce qui permet à l’interprétation de la constitution, et donc à sa pratique d’évoluer considérablement. Après un demi siècle passé à interpréter très limitativement les pouvoirs de régulation économique, tant du Congrès que des États, et quatre ans à s’opposer à la politique du New Deal, la cour suprême abandonne brutalement en 1937 une jurisprudence qu’elle énonçait encore l’année précédente, et donne au contraire l’interprétation la plus large possible du pouvoir de régulation du commerce contenu dans l’article I, section 8. En 1954, par l’arrêt Brown v. Board of Education, elle entame le démantèlement de la ségrégation raciale qu’elle avait jugée constitutionnelle en 1896 dans Plessy v. Ferguson. La capacité des tribunaux à interpréter la constitution, à la lumière des circonstances actuelles, est la source majeure de sa flexibilité.
Il est rarement arrivé que les termes de la constitution soient si précis et impératifs qu’ils s’opposent à une évolution jugée nécessaire. Ce fut le cas, quand il parut indispensable de moderniser la fiscalité de l’impôt sur le revenu. Les préoccupations de rédacteurs de 1787, qui avaient voulu une répartition entre États afin de les protéger de l’arbitraire du gouvernement fédéral, semblaient alors obsolètes dans un pays qui ressentait beaucoup plus son unité qu’à l’origine, et lorsque la Cour suprême choisit de s’en tenir à la lettre de la constitution (arrêt Pollock v. Farmers’Loan and Trust Co. , 1895), il fallut la modifier, par le XVIe amendement. L’échec le plus patent du système fut l’incapacité à abolir l’esclavage sans en passer par une guerre civile. Là encore, la cour suprême avait rendu un arrêt bloquant la situation (Scott v. Sandford, 1857). Il n’est pas certain, cependant, que des décisions plus progressistes des tribunaux auraient pu permettre d’éviter un conflit sur la question qui divisait le plus le pays depuis sa fondation.
Il faut mentionner enfin une autre raison importante de la permanence de la constitution. Son adoption est un des moments majeurs de la naissance de la Nation. Tous les officiels prêtent serment à la constitution. Elle jouit d’un respect quasi-unanime, d’un caractère presque sacré. Lors de la plus grave crise qu’ait connue le pays, la guerre de sécession, les États Confédérés se dotèrent de leur propre constitution. C’était la copie presque conforme, souvent mot pour mot, de la constitution des États-Unis.