Né quelques années après la seconde guerre mondiale, ma jeunesse a été largement imprégnée par la conquête spatiale avec le premier satellite mis en orbite par l’URSS, le fameux Spoutnik, mais surtout par ce qui a suivi, l’homme dans l’espace et sa conquête de la Lune.
Le point d’orgue de cette passion a été sans nul doute de pouvoir assister en direct au dernier lancement du programme Apollo, sur le site de ce qui s’appelait encore Cap Kennedy.
A ce moment-là, plus que jamais enthousiaste, je ne pouvais évidemment pas m’imaginer qu’après Apollo 17, ce programme qui avait vu la victoire américaine de la course à l’espace, face l’Union soviétique, cesserait d’exister et que l’homme ne remarcherait plus sur le sol lunaire avant très longtemps.
J’étais évidemment admiratif des hommes, des astronautes, des ingénieurs dont la moyenne d’âge de ces derniers n’excédait pas la trentaine.
Mais ou étaient donc les femmes dans cette grande aventure humaine?
Il y avait bien eu chez les Russes, le 16 juin 1963, l’envoi depuis le centre spatial de Baïkonour de la cosmonaute Valentina Terechkova, première femme à avoir effectué un vol solitaire en orbite. Trois jours dans l’espace à bord de Vostok 5, devenant ainsi le symbole de la libération de la femme dans le monde socialiste.
Malade lors de la 32ème et 42ème orbite, victime de fatigue et de ralentissement cardiaque, elle fût largement critiquée par les responsables de la mission dans une ambiance de misogynie forcément répandue à cette époque.
Guerman Titov, deux ans plus tôt, victime lui aussi du mal de l’espace à bord de Vostok 2 n’avait pas été l’objet des mêmes critiques.
Malgré le souhait de repartir en mission, Valentina ne revolera plus jamais.
En 1968, le corps des femmes cosmonautes est dissous. Plus aucune soviétique n’ira dans l’espace jusqu’au vol de Svetlana Savitskaïa en 1982.
Concernant le programme spatial des Etats-Unis, il faudra attendre la mission STS-7 de la navette spatiale emportant le 18 juin 1983, Sally Ride, première femme américaine dans l’espace.
Mais avant cela, bien avant, il y a eu une femme, noire de surcroît, Katherine Johnson, une mathématicienne dont les calculs ont permis aux États-Unis de conquérir la Lune, rien de moins que cela.
Rejoignant le programme spatial américain en 1953, c’est seulement en 1958 que son équipe est intégrée à la Nasa, pour faire partie du premier programme de vol spatial habité des États-Unis. Katherine Johnson a alors participé aux calculs du vol d’Alan Shepard, le premier Américain à se rendre dans l’espace.
Pendant 30 ans au service de la National Space Administration, cette femme d’exception, brillante mathématicienne, physicienne et ingénieure spatiale, véritable icône chez les Noirs américains, a développé des équations cruciales ayant permis aux États-Unis de réussir la mission historique qui a fait de Neil Armstrong le premier Homme à marcher sur la Lune en 1969.
L’incroyable de cette histoire, c’est le temps qu’il a fallu pour révéler le rôle crucial de Katherine Johnson au cœur du programme spatial américain. Personnellement, je n’avais jamais entendu parler de cette scientifique exceptionnelle qui au-delà de son travail à la NASA a combattu avec détermination les préjugés raciaux et sexistes dans l’Amérique ségrégationniste des années 50.
C’est seulement en 2015 que le président Barack Obama lui décerne la médaille présidentielle de la Liberté, l’une des plus hautes distinctions civiles des États-Unis. Et en 2019, le Congrès des États-Unis décernait à Katherine Johnson la médaille d’or du Congrès.
Auparavant, sa vie a inspiré le film Les figures de l’ombre, sorti en 2016.
Le 24 février 2020, Katherine Johnson, s’est éteinte à l’âge de 101 ans.
« C’était une héroïne de l’Amérique, une pionnière dont l’héritage ne sera jamais oublié », a écrit James Bridenstine, le patron de l’agence spatiale américaine. Katherine Johnson a permis « d’éliminer les barrières raciales et liées au sexe » a, de son côté, salué la NAACP, la plus grande organisation de défense des Noirs aux États-Unis.
Parfois, il suffit d’une seule femme pour révéler l’ignorance et l’injustice des hommes.
Denys Jaquet
Juin 2020