ll y a eut bien sûr la glorieuse conquête de la Lune, à la fin des années 1960 et pendant les années 1970, avec ses grosses fusées Saturn, propulsant les fameuses capsules Apollo. Puis s’ouvrit une nouvelle ère, où l’espace parut soudain une proche banlieue de la Terre. Entre 1981 et 2011, les navettes américaines, drôles d’avions aux ailes courtaudes et embarquant des équipages, se sont régulièrement mises sur orbite pour y déployer des satellites et les modules constituant la Station spatiale internationale (ISS), avant de se poser sur Terre pour ramener matériel et équipage et de se satelliser à nouveau pour d’autres missions. Sauf que le rêve s’est brisé. Par deux fois. En 1986, la navette Challenger se désintègre après le décollage. En 2003, Columbia subit le même sort funeste, lors de sa rentrée dans l’atmosphère. Le 21 juillet 2011, le sort en est jeté: Atlantis, dernière du genre à voler, se pose définitivement à Cap Canaveral (Floride). Outre les accidents, terribles, l’économie fragile du programme, plombant le budget de la Nasa, scelle le destin des navettes. Et la conquête spatiale fait alors un bond en arrière… de quarante ans. Car pour mettre sur orbite de nouveaux satellites ou faire la liaison avec l’ISS, les agences spatiales renouent avec la technique qui leur avait initialement réussi : de petites capsules, propulsées par des fusées, retournant sur Terre à grande vitesse et achevant brutalement leur course en pleine mer au bout d’un immense parachute. Problème, elles ne sont pas toujours réutilisables. Un retour en arrière aux allures de constat d’échec: les navettes avaient l’avantage de ramener hommes et passagers sur la terre ferme, en un point fixe, à chaque voyage. Certes, les fusées désormais utilisées pourraient devenir en partie récupérables, avec des étages revenant sur Terre à la manière des fusées de Tintin. C’est ce que visent les essais menés notamment par Space X, compagnie privée qui assure le ravitaillement de l’ISS avec ses capsules Dragon. Sauf que ramener une fusée sur Terre n’a rien d’évident ! “L’atterrissage vertical demande de moduler en temps réel la poussée du moteur en tenant compte de l’altitude et de la masse de carburants restants, pour parvenir très précisément à une vitesse nulle à une altitude nulle, explique- t on chez Airbus. A la moindre erreur, on s’écrase – ou on redécolle.” L’atterrissage d’un avion spatial, y compris sans pilote, s’apparente, lui, à la technologie déjà bien maîtrisée de l’atterrissage des drones. Un argument de poids… Si bien que, poussés par les progrès technologiques et le développement de nouveaux marchés, une poignée d’investisseurs privés et d’agences publiques ont entrepris de remettre en piste cet engin. Non sans fracas.

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VOLS EN ORBITE À L’ÉTUDE
Les derniers essais en vol du SpaceShipTwo (SS2), de la compagnie Virgin Galactic, fondée en 2004 par le milliardaire britannique Sir Richard Branson, se sont soldés le 31 octobre 2015 par un crash et la mort du copilote. Malgré le drame, Virgin Galactic s’en tient à sa promesse de vols à plus de 100 km d’altitude à bord de cet avion-fusée suborbital. Un deuxième modèle du SS2 est en cours de finition dans un atelier de l’aéroport de Mojave, en Californie, et les vols commerciaux sont annoncés pour 2016. Une échéance ambitieuse… qui devrait aiguiser les appétits d’une concurrence de plus en plus sérieuse. Dans un autre hangar de  Mojave, une société fondée par un petit groupe d’investisseurs et d’ingénieurs, XCOR Aerospace, assemble le premier exemplaire de son avion-fusée Lynx, conçu à la fois pour les expérimentations scientifiques et le tourisme spatial.

Après trente ans de navettes, et d’ingénieurs, XCOR Aerospace, assemble le premier exemplaire de son avion-fusée Lynx, conçu à la fois pour les expérimentations scientifiques et le tourisme spatial. Ces efforts privés ont éveillé l’intérêt du groupe européen EADS, devenu Airbus, qui a dévoilé, en juin 2007, son concept de Spaceplane alliant propulsion aérobie (qui utilise l’oxygène de l’air) et fusée pour décoller d’une piste traditionnelle et revenir s’y poser après une incursion à 100 km d’altitude. En mai 2014, un premier largage d’une maquette à l’échelle ¼ a été effectué au large de Singapour. D’autres tests devraient suivre.

Au-delà du vol suborbital, les travaux se poursuivent aussi sur des appareils orbitaux – suffisamment puissants et résistants pour se satelliser et traverser les couches de l’atmosphère à vitesse supersonique. En 2010, l’américain Sierra Nevada Corp. (SNC) a ainsi présenté son concept, le Dream Chaser, rappelant le projet Hermès européen qui, malgré son abandon en 1992, a lui-même inspiré deux autres projets. Le premier est le démonstrateur IXV. Soit une forme aérodynamique dépourvue d’ailes qui, lancée de Kourou, a effectué une rentrée spatiale hypersonique au-dessus du Pacifique, le 11 février dernier. Cet IXV préfigure un appareil opérationnel plus complexe : l’avion spatial Pride, capable d’effectuer des vols autonomes pour tester des instruments scientifiques, de nouvelles technologies et même venir réparer des satellites. Le Pride serait ainsi un équivalent européen et civil du X-37B, qui réalise des missions secrètes pour l’US Air Force depuis 2010.

UN MARCHÉ D’AVENIR ?
En 2013, l’industriel russe Energia proposait son concept Berkout, équivalent du X-37B et du Pride. En Inde, l’agence spatiale Isro s’apprête à tester un modèle réduit de sa future navette Avatar sur une fusée-sonde au dernier trimestre 2015. En Chine, des images de l’engin Shen Long lors d’essais de largage ont fuité en 2007. Les concepts sont là, les technologies aussi. Il reste aux nouveaux avions spatiaux à trouver leur modèle économique. En 2008, les études de marché d’Airbus estimaient à 15 000 le nombre de passagers annuels prêts à débourser plus de 100 000 dollars pour des vols suborbitaux. Cela se confirmera t-il, passé l’effet de mode ? Le salut pourra-t-il venir des lancements de microsatellites ? Airbus, avec son concept Adeline dévoilé en juin, envisage un débouché inédit pour les technologies du Spaceplane. Un module ailé doté de turbopropulseurs déployables, installé à la base du premier étage des futurs lanceurs spatiaux, pourrait accueillir moteurs et commandes de vol, éléments les plus coûteux du lanceur. Une fois l’étage séparé, ce module larguerait les réservoirs vides et reviendrait se poser comme un avion à Kourou, pour être intégré sur un autre lanceur. Le coût des futures Ariane pourrait ainsi être réduit de 20 à 30 %. L’avenir dira si ce mariage intime des fusées et des avions sera la clé de l’espace…

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